Responsabilité des Médecins de garde et d'astreinte: analyse juridique et déontologique

RESPONSABILITE DES MEDECINS DE GARDE ET D’ASTREINTE
ANALYSE JURIDIQUE ET DEONTOLOGIQUE
Dr Jacques Lucas
M. Francisco Jornet

AVANT PROPOS

Par sa nature même, la note qui suit ne porte ni approbation ni improbation de décisions juridictionnelles puisque celles-ci sont revêtues de l’autorité de la chose jugée. Cette note ne fait que décrire l’état actuel du droit. Nous espérons qu’elle répondra aux interrogations qui nous ont été adressées par les Conseils départementaux.
Elle laisse cependant apparaître que le statut de médecin qui remplit, lors d’une garde ou d’une astreinte, une mission d’intérêt public devra être clarifié et précisé. En effet, c’est le statut de ce médecin qui détermine le régime des responsabilités qu’il engage sur le plan juridique dans les domaines assurantiel, civil, pénal et déontologique.
La définition de ce statut figure au premier rang des recommandations qui ont été adressées au Ministère par le Conseil national et qui ont été rendues publiques début octobre 2001. Le Conseil national de l’Ordre des médecins devra être associé au travail juridique nécessaire à cette définition au regard des implications éthiques et déontologiques qu’elle comporte et sur laquelle nous sollicitons, avec cet envoi, les observations et contributions des Conseils départementaux.

INTRODUCTION

L’étude de la jurisprudence de la Cour de Cassation statuant en matière pénale, et de la Section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins(1) dans les affaires impliquant les médecins de garde permet de mieux cerner les responsabilités qu’ils doivent assumer, mais aussi et surtout les limites à leurs obligations.(2) A l’occasion de la réunion des délégués régionaux aux gardes et urgences du 3 février 2001, le besoin d’une clarification émanant du CNOM sur ce sujet a été exprimé.
Tout d’abord, le nombre infime de contentieux mettant en cause le comportement des médecins de garde par rapport à l’importance de leur activité ne doit pas occulter l’accroissement significatif des récriminations, voire des plaintes dont ils font l’objet. Les Conseils départementaux nous rapportent de façon générale ce phénomène même s’il est difficile de le quantifier.
Par ailleurs, les médecins de garde, confrontés aux exigences de plus en plus fortes des patients, qu’elles soient justifiées ou non éprouvent des difficultés croissantes à exercer sereinement leur office et ont tout intérêt à mieux connaître ce qu’imposent aujourd’hui la loi pénale et la déontologie, appliquées et interprétées respectivement par la Cour de Cassation et la Section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins.
Ce rappel sera aussi utile aux médecins régulateurs qui doivent solliciter à bon escient les médecins de garde.
Enfin, de façon concrète, cette étude doit permettre de s’assurer de la viabilité des maisons médicales de garde (CAPS, AGRU...) Quel avenir pourrait avoir cette nouvelle organisation de la permanence des soins si le médecin de garde devait systématiquement se déplacer sur-le-champ au domicile du patient ?
(1) Les décisions du Conseil d’Etat, juge de cassation des juridictions disciplinaires de l’Ordre des médecins, sont trop peu nombreuses dans le domaine de l’activité des médecins de garde (2 sur les 10 dernières années) pour constituer une base de référence.
(2) Sur le plan purement civil, nous n’avons pas non plus trouvé de décisions de la Cour de cassation intéressantes sur les responsabilités du médecin de garde. Il n’y a pas de raisons de s’en étonner dès lors que le juge pénal peut infliger à la demande des parties des dommages-intérêts de nature civile.

1 Le médecin de garde et le juge pénal : analyse de la jurisprudence de la Cour de Cassation en matière de non assistance à personne en danger

Si le médecin de garde doit être joignable, toute défaillance pouvant relever de la mise en danger délibérée de la personne d’autrui (article 223-1 du code pénal) ou de la responsabilité pénale par faut d’imprudence (articles 121-3, 221-6 et 221-19 du code pénal), le juge pénal s’est essentiellement intéressé aux différents types de réponse apportées par le médecin de garde aux appels qu’il reçoit.

1.1 Le Fondement légal de l’omission de porter secours
Ce devoir d’humanité est en effet également un délit pénal défini comme suit à l’article 223-6 alinéa 2 du code pénal : « Sera puni des mêmes peines (5ans d’emprisonnement et 500.000 F d’amende) quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui et pour les tiers, il pouvait lui porter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.

1.2 Les personnes visées par le délit
A la lecture du texte : « Quiconque... », on constate que le délit de non-assistance à personne en danger ne concerne pas que les médecins ou plus généralement les professionnels de santé.
Cependant, l’analyse de la jurisprudence permet de conclure que les poursuites engagées sur ce fondement ont principalement visé les médecins (3), toutes catégories confondues : médecins généralistes ou spécialistes, salariés ou hospitaliers.
Les médecins hospitaliers doivent d’ailleurs savoir que le refus de se déplacer constitue pour le praticien de garde une faute professionnelle, détachable par sa nature même de la fonction qu’il occupe. Cette faute engage donc leur responsabilité personnelle, et non celle de l’hôpital, et pourra être sanctionnée sur le plan pénal mais aussi civil.
Parmi les médecins libéraux, les médecins généralistes sont beaucoup plus souvent impliqués dans des contentieux que les médecins spécialistes, qu’ils aient agi comme médecin traitant ou plus spécifiquement - et c’est ce qui nous intéresse dans le cadre de cette étude - comme médecin de garde.

1.3 L’appréciation du péril par le médecin de garde
L’ omission de porter secours suppose à titre préalable que la personne à secourir soit en péril (cf 1.1).
Cette appréciation qui devra porter sur la gravité du péril et son caractère imminent est particulièrement délicate lorsque le médecin est contacté par téléphone. C’est pourtant la situation la plus fréquente pour le médecin de garde.
(3) le Pr SOUTOUL a recensé sans prétendre l’exhaustivité, une centaine de décisions judiciaires concernant les médecins dans la période 1949-1989.
Si la loi n’a pas défini l’état de péril, les juges le voient comme un état dangereux ou une situation critique (en réalité ou en apparence) qui fait craindre de graves conséquences.
Il appartient au médecin d’apprécier l’utilité ou l’urgence de son intervention, sous le contrôle de sa conscience et des règles de sa profession. Telle est la position constante de la Cour de Cassation depuis 1949.
Le médecin n’est pas tenu de se déplacer pour constater le péril si les renseignements obtenus par téléphone lui paraissent suffisants pour se forger une opinion et prendre les décisions adéquates.
Les juges tiennent compte du sérieux avec lequel l’interrogatoire téléphonique est mené. Bien entendu, en cas de doute sur l’état réel du patient, le médecin de garde devra se déplacer.
Compte tenu des difficultés de l’entretien téléphonique, on se reportera utilement au rapport du Président HOERNI sur ce sujet intitulé « Appels téléphoniques de patients et déontologie médicale ».
En particulier, il est recommandé que le médecin de garde :
a) identifie lui-même la nature de la demande en se méfiant des aléas d’une transmission par personne interposée ;
b) s’assure de la bonne compréhension de la réponse qu’il a pu apporter ;
c) conserve par tous moyens, une trace de l’échange aussi bien pour le transmettre au médecin traitent habituel que pour justifier, le cas échéant, que les renseignements recueillis étaient fiables et ne nécessitaient pas une intervention immédiate.
L’absence d’utilité d’une intervention immédiate ne signifie en aucun cas l’inertie ou l’indifférence pour le médecin de garde. Il pourra effectuer une prescription médicamenteuse par téléphone, inviter le patient à se déplacer à son cabinet, à consulter le médecin traitant le lendemain, ou encore à se déplacer lui-même mais pas de façon immédiate. Ces conseils valent également pour les médecins régulateurs.
On peut ici rappeler qu’aux termes de la loi, les consultations médicales sont données au cabinet du médecin sauf lorsque l’assuré ne peut se déplacer en raison de son état (article L.162-3 du code de la sécurité sociale). Les juges sanctionnent de façon sévère le désintérêt manifesté par le médecin face à l’appel reçu et, au contraire, prennent en considération l’attitude du médecin qui rappellera la personne qui l’a contacté ou l’invitera à le rappeler pour connaître l’évolution de la situation.

1.4 L’attitude du médecin de garde face au péril pressenti ou identifié
Contrairement à une idée reçue, la non-assistance à personne en danger n’est pas constituée du seul fait de l’absence de déplacement du médecin sollicité.
Le code pénal mentionne bien que l’obligation de porter assistance peut prendre deux formes : l’action personnelle ou le recours à un tiers. Ce choix n’est pas discrétionnaire et le médecin a le devoir de mettre en oeuvre les moyens les plus adaptés à son patient.
On peut ainsi retenir, par exemple, que le recours à un transport médicalisé ou non vers un établissement hospitalier s’impose d’emblée au médecin alors que son action personnelle n’aurait fait que retarder la prise en charge efficace du patient, ce qui pourrait d’ailleurs lui être reproché.
Le recours à un tiers n’est pas non plus à exclure si le médecin de garde doit faire face à plusieurs urgences au même moment.
Selon la jurisprudence, la réponse adaptée peut aussi tenir au cumul d’une intervention personnelle du médecin et à l’appel d’un tiers.
Les juges se montrent sévères face aux mesures dilatoires telles qu’une prescription médicamenteuse ordonnée par un médecin au téléphone dès lors qu’il ne pouvait se méprendre sur la gravité du péril encouru.
Le recours à un tiers face à une urgence doit faire l’objet d’une attention particulière. En effet, le médecin devra personnellement faire appel à ce tiers.
Il n’a pas à laisser au patient le soin de le faire en se déchargeant ainsi de son obligation d’assistance. Enfin, il devra s’assurer de l’intervention effective de ce tiers.
On ne saurait nier que les juges portent une appréciation stricte sur l’attitude des médecins, et notamment des médecins de garde compte tenu de leur rôle.

1.5 L’absence de risque pour le médecin de garde
La non-assistance à personne en danger du code pénal sanctionnée par le code pénal suppose l’absence de risque pour la personne à qui l’assistance est demandée.
Les tribunaux vont donc prendre la mesure du danger couru par la victime et du risque évoqué parle médecin pour déterminer si on se trouve dans une cause d’exonération de l’obligation d’assistance.
Dans une décision récente, les chutes de neige et la fatigue invoquées par le médecin de garde n’ont pas convaincu le juge face à l’état d’un enfant âgé de 11 mois présentant des symptômes alarmants. Le médecin de garde ne s’était pas déplacé et n’avait pas non plus provoqué de secours.
Si ce comportement est répréhensible, et d’ailleurs a été également sanctionné par les juridictions disciplinaires, on ne peut s’empêcher de songer à d’autres situations telles que les appels de nuit au médecin de garde dans des quartiers où les risques d’agression physique sont réels.

2 Le médecin de garde et le juge disciplinaire
2.1 Les fondements légaux de l’obligation de porter assistance
Ils sont les mêmes pour tous les médecins et résultent tout d’abord des termes de l’article L.4121-2 (ex L.382) du code de la santé publique : « L’Ordre des médecins, celui des chirurgiens-dentistes et celui des sages-femmes veillent au maintien des principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine, de l’art dentaire, ou de la profession de sage-femme et à l’observation, par tous leurs membres, des devoirs professionnels, ainsi que des règles édictées par le code de déontologie prévu à l’article L.4127-1 ». L’article 9 du code de déontologie médicale commande à tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril, ou informé qu’un malade ou un blessé est en péril, de lui porter assistance et s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires. Cet article est bien sûr l’écho de l’article 223-6 du code pénal.
Plus loin, l’article 47 du code de déontologie médicale prévoit « Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades soit être assurée. Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs, d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pou des raisons professionnelles ou personnelles... ».
L’ article 7 du code de déontologie, consacré notamment à l’écoute dont le médecin doit faire preuve et au concours qu’il doit apporter en toute circonstance, n’est pas sans rapport avec notre étude.
De façon générale, la disponibilité du médecin constitue une des ses qualités cardinales (R. Villey).
A côté de ces dispositions applicables à l’ensemble du corps médical, des dispositions plus particulières existent pour le médecin de garde : l’article 77 (NB: le 31/07/2003 date de la mise en ligne de ce texte, le nouveau libellé de l'article 77 n'est pas connu.) lui fait obligation de participer aux services de garde de jour et de nuit dans le cadre de la permanence des soins, et l’article 78 lui enjoint de prendre toutes dispositions dans le cadre de la garde pour être joint au plus vite.

2.2 La mise en oeuvre de ces principes par la Section disciplinaire
De 1991 à 2000, une cinquantaine de décisions ont concerné l’omission de porter secours à une personne en danger, avec une augmentation sensible au cours des dernières années (11 décisions en l’an 2000). La majorité d’entre elles, qu’elles sanctionnent le médecin ou qu’elles le relaxent, ont concerné des médecins généralistes de garde.
D’emblée, on rappellera que la garde est une obligation déontologique à laquelle le médecin ne peut se soustraire sans violer la déontologie et encourir des sanctions disciplinaires : les décisions de la Section disciplinaire confirmées par le Conseil d’Etat en témoignent.
On ne s’intéressera donc ici qu’aux modalités suivant lesquelles le médecin remplit son obligation. On est, à ce sujet, frappé à l’analyse des décisions par l’analogie des solutions apportées par le juge disciplinaire aux problèmes posés par le comportement des médecins de garde avec celles de la Cour de Cassation.

2.3 Le médecin de garde et l’appréciation du péril
Bien entendu, aucune appréciation ne doit être portée ni aucune décision prise sans interrogatoire sérieux de l’appelant.
Le médecin de garde ne doit pas se contenter des renseignements qu’on lui donne et devra prendre l’initiative de demander des informations pertinentes.
Est condamnable le médecin qui pose un diagnostic hasardeux alors qu’il n’a pas eu réellement les moyens de s’assurer de l’absence de péril.
En cas de doute sur le péril encoure, le juge disciplinaire comme le juge pénal, estiment nécessaire sont déplacement.
Ici non plus, l’absence de danger ne peut en aucune manière entraîner, pour le médecin qui a pris la décision justifiée de ne pas se déplacer, un désintérêt.
Le médecin doit marquer une véritable attention vis-à-vis de l’appelant, et ce point est souvent relevé dans les affaires où des parents affolés appellent le médecin de garde pour leurs jeunes enfants.
Le médecin devra donc prendre le temps de rassurer l’appelant et reprendre contact avec lui pour s’assurer de l’absence d’aggravation de l’état du patient.
L’appelant ne soit pas avoir le sentiment que le médecin ne s’intéresse pas à son appel.
De la même manière, le médecin de garde pourra reprendre contact avec le médecin traitant s’il a conseillé au patient ou à sa famille d’aller le consulter.

2.4 Le médecin de garde face au péril pressenti ou réel.
Là aussi, les moyens les plus adaptés doivent être mis en oeuvre, et il est des situations où l’intervention personnelle du médecin de garde ne ferait que retarder l’hospitalisation.
Le médecin doit privilégier l’efficacité et ne pas abandonner sa garde si sa présence auprès du patient est inutile. Le médecin ne doit pas non plus prendre de mesures dilatoires telles que la prescription de médicaments banals face à un été alarmant.
Le médecin de garde doit agir selon sa conscience et ne peut se laisser porter par la demande du patient. Ainsi, il devra se déplacer si la situation l’exige alors même que l’appelant ne l’avait pas expressément demandé et, à l’inverse, il n’aura pas à le faire s’il estime la demande injustifiée.
Si le recours à un tiers s’avère nécessaire, il lui appartient de le provoquer lui-même ainsi que de s’assurer de la réalité de son intervention.

CONCLUSION

Le juge pénal se montre plus sévère pour le médecin de garde qu’il ne le serait pour un simple particulier spectateur d’un accident de la route, et on peut aisément le comprendre.
Le juge disciplinaire relève également les obligations particulières du médecin de garde. Cependant, l’un comme l’autre se refusent à donner à chaque appel au médecin de garde le caractère d’une réquisition à laquelle celui-ci devrait se plier au détriment d’ailleurs d’autres appels nécessitant réellement son intervention personnelle immédiate.
On ne peut que répéter et reprendre les termes mêmes de la Cour de Cassation : « le médecin appelé doit agir sous le contrôle de sa conscience et dans le respect des règles professionnelles ».
Ces règles sont aussi bien celles que posent le code de déontologie médicale que celles tirées des règles de l’art, compte tenu des données acquises de la science médicale.

BIBLIOGRAPHIE

Isabelle FERRARI, Conseiller référendaire à la Cour de Cassation Le médecin devant le juge pénal - Rapport 1999 de la Cour de Cassation (disponible sur le site www.courdecassation.fr)
Pr Bernard HOERNI, Président du Conseil national de l’Ordre des médecins
Appels téléphoniques de patients et déontologie médicale - Rapport adopté par le CNOM en juillet 1998 (disponible sur le site www.conseil-national.medecin.fr)
Pr Jean Henri SOUTOUL
Le médecin face à l’assistance à personne en danger et à l’urgence Editions Maloine 1991